On peut appliquer des enduits à la chaux et sables sur la plupart des supports de maçonnerie mais réaliser, reprendre ou refaire un enduit sur un bâtiment, quelle que soit sa nature, nécessite de mettre en correspondance des préoccupations d’ordres à la fois techniques, d’usage et esthétiques.
L’enduit fait partie du tout qu’est la maçonnerie, elle-même inscrite dans l’ensemble architectural qu’est le bâtiment.
Les questions techniques, du choix des matériaux, de la maîtrise des mélanges, de la reconnaissance des supports et des techniques de pose qui en découlent, font particulièrement appel aux savoir-faire et aux connaissances issues de l’expérience pratique.
On procédera différemment s’il s’agit de conservation, de restauration, d’entretien ou de rénovation. Il a longtemps semblé nécessaire de reprendre en totalité un enduit partiellement dégradé, l’aspect “neuf” étant privilégié. Aujourd’hui, on a tendance à plutôt rechercher l’aspect ancien, conduisant à vieillir prématurément l’enduit au détriment parfois de sa pérennité (acides, délavages, grattage et altérations…). D’autres approches apparaissent (ou ré-apparaissent) qui privilégient dans certains cas la restauration de l’enduit par reprises partielles, conservation des parties dégradées, et/ou apport de nouvelles passes ou couches (nous reviendrons sur l’importance de cette distinction).
Dans tous les cas, la réalisation d’un enduit dans un bâtiment ancien vous amènera à vous poser des questions et à faire des choix. Vous découvrirez différentes époques de constructions, différents styles, des ouvertures anciennement occultées ou créées tardivement…
Les modifications successives d’un bâtiment sont le reflet des usages, des modes et de la vie de ceux qui l’ont occupé avant vous. Vous serez toujours confrontés à cette question : quelles étapes de cette histoire décider de privilégier, de souligner, de restaurer ou de restituer?
Un art empirique
Commençons donc par oublier définitivement ces “recettes de cuisines”, que l’on trouve à droite et à gauche, et tournons nos regards vers les bâtiments anciens. Nous avons souvent la chance de découvrir encore des enduits qui, même s’ils ne sont pas d’origines, révèlent les techniques de mises en œuvres anciennes et les pérennisent.
Je ne veux pas dire ici que tout ce qui est ancien est forcément mieux mais que, en la matière, ces techniques anciennes témoignent souvent d’un esprit, d’une logique et d’une cohérence qui devraient se retrouver dans tout “acte architectural”.
L’expérience d’une restauration nous engage avant tout dans une expérience et une aventure personnelle.
Prenez le temps de regarder et d’explorer une maison ancienne et vous découvrirez à quel point elle est le miroir des hommes et des femmes qui l’ont habité avant nous. Esprit, logique et cohérence sont les premières règles de la grammaire qui va nous permettre d’écrire et d’ajouter de nouvelles pages à ces livres de pierres, de bois et de terres que sont nos maisons.
Oublions les logiques des ciments
Dans un enduit à la chaux et sables, le choix du (ou des) sable a un rôle majeur.
Vitruve, architecte romain du Ier siècle avant J.C., en soulignait déjà l’importance dans son traité “De Architectura”. Depuis, nous avons mis au point de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux qui obéissent à d’autres règles.
L’industrialisation a uniformisé les composants et leur mode d’application en vue d’obtenir des “standards” qui puissent s’appliquer partout. L’artisan est alors devenu un “applicateur”.
Les ciments (ou les chaux hydrauliques artificielles), utilisés dans un mortier, ont une fonction de masse : ils assurent à eux seuls la résistance. Le sable doit donc être le plus “neutre” (lavé, sans fines) possible. Les ciments sont opaques et uniformisent les mortiers de leur teinte grisée. Le ciment bloque les échanges hygrométriques, laisse entrer l’eau dans les maçonneries mais l’empêche de ressortir… Un mur ancien, avec sa maçonnerie et ses enduits, vit et interagit avec son environnement.
Vous lirez souvent que les enduits à la chaux doivent se passer en trois couches : gobetis (accrochage), corps d’enduit et couche de finition. Il faut pourtant savoir que les enduits en trois couches se sont généralisés avec l’utilisation massive des ciments. Ils répondent au besoin d’enduire les parpaings en agglomérés de ciment. Le gobetis est alors rendu nécessaire par la surface homogène et lisse de ces matériaux et par le faible pouvoir collant des mortiers de ciments. En matière d’enduits à la chaux et sables, il faut plus penser en terme de passes qu’en terme de couches (nous y reviendrons).
Que nous apprennent les enduits anciens?
Un enduit a trois fonctions : protection, résistance et esthétique.
La plupart des édifices d’importance étaient, par le passé, protégés par des enduits et des badigeons de chaux, que le temps a par la suite altérés. Les enduits anciens, dégradés par le temps, laissent souvent apparaître les pierres du mur. Il faut se garder de considérer ces dégradations comme des enduits « à pierres vues » (mode récente) car les moellons, et parfois même les pierres de taille, étaient d’abord des éléments structurels qui nécessitaient une protection contre les éléments naturels. Leur intérêt décoratif se limitait souvent aux éléments de modénatures de pierres taillées ou sculptées.
Dans le domaine de l’architecture vernaculaire (constructions “ancrées dans leur environnement, qui répondent à la géographie, aux conditions climatiques et à leur époque”, selon les mots de l’architecte Philippe Madec), le bâti naît du sol et des ressources de la région où il se développe et sa conception prend en compte l’ensemble des contraintes locales. D’une manière générale, dans le monde rural ancien, la chaux était peu utilisée, autrement qu’en badigeon, avant le milieu du XIXe siècle. La terre, plus disponible et plus économique, était le principal liant des maçonneries.
Une information intéressante sur la façon dont on considérait et utilisait la chaux dans les périodes anciennes est donnée par ces maisons de bourgs dont seule la façade sur rue était enduite. La ressource était donc suffisamment rare et onéreuse pour être utilisée avec parcimonie.
D’une manière générale, que ce soit dans un contexte “savant” ou vernaculaire, les “anciens” réalisaient des enduits pérennes avec le souci permanent d’économie de la ressource. L’épaisseur était minimale et bien souvent l’enduit affleurait les pierres d’encadrement ou de chainages (ce qui est incompatible avec la multiplication des couches).
Les couches et les passes
Un enduit à la chaux doit se concevoir dans toute l’épaisseur et non uniquement comme une couche décorative.
La différence entre la couche et la passe est la suivante : entre deux couches, on attend un séchage complet. Entre deux passes, on attend juste que le mortier ait commencé sa prise, qu’il ait « tiré ». La carbonatation n’a donc pratiquement pas commencée.
Lorsque l’on regarde certains enduits anciens ont peut être surpris de trouver plusieurs couches de mortiers de natures différentes. Dans la plupart des cas, il s’agit d’enduits d’âges différents superposés. L’entretien était souvent fait sans enlever les couches existantes, par simple ajout.
Dans les situations les plus courantes, et en milieu relativement sain, l’enduit était réalisé en plusieurs passes, avec le même matériau. Du fond du joint à la surface de finition, on ne distingue qu’une seule couche de mortier. Il faut seulement veiller à respecter un temps nécessaire à la bonne tenue de la charge entre chaque passe.
Dans le cas des soubassements, un enduit en deux ou trois couches peut se justifier. Chaque couche durcit indépendamment et il se produit entre elles une rupture de continuité des réseaux capillaires, qui limite les transferts en eau.
Au séchage, les mortiers de chaux ont une tendance au retrait. Pour que les tractions ne décollent pas les couches sous-jacentes, les dosages en chaux doivent rester identiques ou dégressifs.
Le liant lui-même, utilisé pour chaque couche, ne doit pas créer de différences notables dans les transferts en eau : une finition à la chaux aérienne ne laissera transiter qu’une petite quantité d’eau jusqu’à sa surface. L’eau migrera surtout à travers les couches précédentes et se dispersera dans le mortier de la maçonnerie. Si les couches précédentes sont réalisées avec des liants hydrauliques (type NHL), la migration de l’eau sera freinée, restera dans la couche de finition et engendrera des désordres.
Quelle chaux pour quel support?
Dernier point de cette rapide présentation : le choix du liant à utiliser en fonction du support.
Une des règles d’or des maçonneries anciennes est que l’enduit doit posséder la même souplesse que le mur qu’il revêt. Cette règle est aussi valable bien sûr pour le mortier de hourdage (celui avec lequel on monte le mur) qui ne doit pas être plus résistant que les pierres dont il permet la construction.
Une résistance proche de celle des éléments les plus faibles, c’est à dire des joints, est toujours recherchée. Lors de la liaison entre deux matériaux, l’un dur et l’autre tendre, c’est le matériaux le plus tendre qui subit le premier les dégradations.
Les chaux aériennes (CL et DL) sont les plus “tendres”, viennent ensuite les chaux hydraulique NHL2 et NHL3,5 (sous réserve qu’elles restent véritablement proches des classes de résistance indiquées). Oubliez les chaux NHL5 : ce sont des ciments.